Le DS en général

Le développement scolaire en France

Interviewé :
François Muller 17 Nov 2020
Quelle est votre définition du développement scolaire ? Quelle(s) terminologie(s) utilise-t-on en France pour évoquer ce sujet ?

La terminologie de « développement scolaire » est directement importée de l’allemand et pourrait se comprendre comme une approche systémique de soutien d’une communauté dans la dynamique d’amélioration de l’école. Il est donc plus large que le concept de « développement professionnel », lui importé du registre anglo-saxon, qui s’intéresse plus spécifiquement aux personnels d’éducation et au développement des compétences individuelles et collectives.  

Le « développement scolaire » peut alors intrinsèquement englober d’autres vecteurs de la transformation de l’école tels que l’évaluation des élèves, l’auto-évaluation de l’établissement, le leadership scolaire, l’innovation, la mise en réseau et les partenariats. 

En France, l’adoption du concept de développement professionnel est récent (2013, dans le référentiel enseignant) ; il s’agit d’accompagner la transformation des pratiques professionnelles, des dispositifs de formation, et partant, de mieux articuler les questions d’évaluation des personnels et d’évaluation des établissements. Le chantier est ouvert à peine en 2019.  

Les systèmes d’éducation qui ont achevé leur « révolution éducative » dans ce domaine l’ont fait sur un cycle de vingt ans. C’est dire qu’il ne faut pas oublier le troisième mot du concept : développement professionnel continu. 

Quelles sont les ressources mises à disposition des établissements pour favoriser le développement scolaire en France ?

Des expériences parfois anciennes et documentées (Grenoble, Lille), des expérimentations locales, à l’échelle d’une circonscription (Loire), ou d’une académie (Besançon), des dispositifs innovants fondés sur l’accompagnement soit situé, soit d’un groupe professionnel (coordonnés par les CARDIE en académie), des initiatives institutionnelles qui visent à rapprocher des chercheurs des professionnels de l’éducation ; les ressources et les acteurs sur le terrain semblent ne pas manquer, et pourtant elles sont faiblement couplées entre elles dans un système institutionnel hérité et fortement marqué encore par une organisation fondée sur les statuts et moins sur les compétences.  

Des assises nationales de la formation en décembre 2018 envisagent quelques scenarii de mise en cohérence, on dirait aussi « upgrade » et accorde une fonction de chef de file au nouvel institut des hautes études de l’éducation et de la formation (IH2EF) à Poitiers, ancienne école des cadres. Il initie un réseau d’accompagnateurs associés (400) dédié au maillage des académies et à soutenir l’effort national de formation des cadres.  

La gouvernance oscille entre une organisation nationale et encore très prescriptive et des logiques locales dont on affirme la responsabilité et l’autonomie. Le développement scolaire devient un « attracteur étrange » dans ces conditions en ce sens qu’il contient en germes les grandes questions de l’éducation et l’amélioration du système scolaire français dont on connaît les résultats PISA par ailleurs. Le risque est de surinvestir le développement professionnel de changements qui relèvent d’autres champs de responsabilité et de compétence. « Vous avez un problème ? Une bonne formation. » 

Quels sont les sujets phares traités par les établissements en matière de développement scolaire en France ?

Quand un dispositif de développement se met en place, il peut être prioritairement situé et coopératif ; à l’échelle d’un établissement reviennent de manière récurrente quelques problématiques (une question dont on n’a pas la réponse, seul et rapidement) qui justifient justement l’enquête sur les pratiques et le recours aux différentes expertises dont celles des élèves de manière innovante, voire étonnante pour beaucoup : diversification des pratiques et différenciation pédagogique, changements dans l’organisation, évaluation pour les apprentissages, ergonomie scolaire, organisation apprenante. 

Certains dispositifs de développement professionnel visent des fonctions intermédiaires directement impliqués dans ce changement de paradigme (formateurs, inspecteurs, chefs d’établissement) et peu formés aux approches de la consultation et aux méthodologies de l’accompagnement, de l’analyse de pratique et de l’engagement dans la créativité.  

Le point commun, c’est que ces dispositifs s’initient au gré à gré directement avec les personnels, en partant des questions des professionnels et sur les pratiques documentées pour l’occasion. Ils s’inscrivent aussi dans un cycle durable. 

Comment sont centralisées, exploitées et transférées les réflexions et mesures locales au niveau national ? Qui gère, exploite et partage ?

Dans un pays centralisé et une « éducation nationale » qui compte 800 000 enseignants, 55 000 écoles et 2500 lycées par exemple, engagée dans un mouvement de déconcentration/décentralisation inachevé, les responsables institutionnels, les recteurs et par délégation leur responsable de la formation mettent en œuvre les prescriptions nationales dans des organisations qui peinent à évoluer (entrée statutaire, formation disciplinaire, inscription individuelle, publics désignés) ; l’évaluation de la formation reste peu documenté et sans rapport direct avec les impacts sur les pratiques et sur l’établissement. Obligation de moyens, mais jamais assez de résultats. L’angle mort est de trouver une réponse à la question : « comment faire évoluer des pratiques locales et une pratique d’enseignement ? ». On évalue ce qu’on peut mesurer et on peine à mesurer ce à quoi on accorde de la valeur.  

Le foisonnement des actions locales et la dimension encore expérimentale et ancrée dans les territoires renvoie à une capacité du système à faire réseau, à partager des expériences, à capitaliser des ressources ou des produits « non finito », ; c’est pourquoi j’avais initié dès 2011 un réseau social professionnel numérique, à la manière d’un facebook, RESPIRE (réseau d’échange de savoirs professionnels en innovation, recherche et expérimentation) et, devenu VIAEDUC, qui capitalise à ce jour 90 000 comptes et 9000 groupes.  D’autre part, une application en ligne qui capitalise les actions innovantes qui témoignent aussi du développement (Expérithèque, 6000 actions). Ce fond documentaire et très organique est une mine pour analyser les tendances et alimenter les professionnels et décideurs, pour peu que chacun à son niveau, reconnaisse la « valeur professionnelle » et une certaine légitimité à ces sources.  

L’école est organisée comme un lieu où de nombreux acteurs se rencontrent et se croisent. Comment rendre ces « zones d’intersections » plus dynamiques et efficaces en matière de développement scolaire ?

Dans la compréhension et dans les déclinaisons du développement scolaire agissent des dimensions non formelles, informelles et plus formelles pour exploiter la rencontre et le croisement. 

La dimension non formelle correspond aux relations inter-personnelles, aux amitiés pédagogiques, aux affinités disciplinaires ou de génération dans une équipe ; la qualité relationnelle, le sentiment d’appartenance à une entité scolaire, la reconnaissance par ses pairs, l’exploitation de talents non scolaires, sont autant de ferments facilitateurs de la construction d’une équipe et garant de sa durabilité. C’est d’ailleurs un indice de la qualité professionnelle que le degré d’ouverture et l’accueil des nouveaux entrants ou des débutants. Tout cela participe du capital social de l’établissement, décisif pour tout le reste et sur lequel l’institution a peu de prise. C’est aussi le fait que chacun puisse se connecter à d’autres réseaux pour alimenter sa pratique (association, numérique etc). 

La dimension informelle recouvre les temps, les espaces et les modalités qui renforcent la qualité professionnelle des acteurs, sans qu’il n’y ait besoin d’une organisation ou d’une reconnaissance officielle ; c’est la pause-café, les rituels dans les réunions, l’affichage dans la salle des profs, le réseautage numérique interpersonnelles et l’intégration cognitive des routines de l’équipe ; les chefs d’établissement savent que 80 % du travail ressort de cette dimension. Sont-ils formés pour faciliter tout cela ? 

La dimension formelle serait alors les « investissements » institutionnels qui signifient aux personnels que l’école accorde de l’intérêt et une importance stratégique à ce que les membres puissent partager, coopérer, analyser, évaluer, projeter ; c’est essentiellement du temps reconnu dit de développement professionnel (à l’instar de la Finlande ou de la Nouvelle-Zélande, 2 h /semaine), et une répartition des rôles et des responsabilités au sein d’une équipe (tous « leaders » en Ontario). L’impact sur l’organisation spatio-temporelle de l’école est alors important.  

Quels sont les principaux freins au développement scolaire en France ?

Le développement professionnel est un nœud gordien qui entremêle les métiers qui encadrent la pratique enseignante : le chef d’établissement, l’inspecteur pédagogique, le formateur ou conseiller pédagogique. Il faut compter aussi sur l’invisible et non écrit mais terriblement prégnant dans nos contextes, les routines locales, celles aussi professionnelles. Ainsi, s’engager dans un véritable développement professionnel sollicite d’autres modalités de travail dans une équipe, l’étayage externe d’amis critiques et sur une durée moyenne. Certaines de ces conditions sont dans la main du local, d’autres renvoient à des niveaux institutionnels, réglementaires ou législatifs bien plus compliqués à faire évoluer en l’état. 

Quels sont les principaux leviers au développement scolaire dans le contexte français ?

L’attachement des enseignants à leurs élèves, l’insatisfaction des modalités actuelles en termes d’organisation et de formation, l’implication des chefs d’établissement dans l’amélioration de leurs équipes et pour tous, le sentiment d’isolement et le manque de reconnaissance ; ce sont des leviers puissants qui changent les besoins en demandes, et le sentiment d’impuissance en l’attrait vers d’autres formules plus ouvertes et créatives. Le potentiel est énorme. La solution est dans la rencontre entre le bas et le haut. 

Quel est votre point de vue sur le dispositif de développement scolaire luxembourgeois ?

Le programme du SCRIPT et la constitution de l’équipe des IDS au Luxembourg jouissent de nombreux atouts enviables : la conception d’un dispositif très documenté  et informé par une équipe nouvelle mobilisant des expertises variées et de haut niveau, un portage politique et institutionnel de grande proximité qui ouvre toutes les portes, les services centraux et celles des établissements, l’élaboration d’outils adaptés et une créativité certaine, soutenus par des moyens conséquents en ressources humaines et en finances. 

Trois aménagements pourraient renforcer ce dispositif encore récent : d’une part, assouplir le déploiement des PDS (plan de développement scolaire) pour l’ajuster à chaque contexte d’établissement ; chacun est pris dans un cycle fait de haut et de bas, et s’appuie sur une culture et des routines propres ; dans certains cas, le PDS rencontre une phase dynamique, dans d’autres, elle percute et peut provoquer certaines résistances. Plus on se rapproche du terrain, plus on s’ajuste.  

D’autre part, le groupe des accompagnateurs gagnera à diversifier les profils ; il gagnera en expertise collective et en légitimité en croisant les regards. Dans l’accompagnement, il convient de garder une certaine distance par rapport à l’objet accompagné.  Plus expert qu’ex-pairs. 

Enfin, générer du capital professionnel en facilitant la mise en réseau, le partage d’expériences entre équipes, et notamment en renforçant l’appui aux chefs d’établissement (groupe de développement professionnel). 

Qu’est ce qui pourrait inspirer la France ?

Les atouts du Luxembourg forment un écosystème vertueux, et notamment une convergence entre accompagnement, innovation et évaluation à tous les niveaux que nous avions expérimenté au sein du ministère entre 2011 et 2016, sans aller jusqu’au bout de la démarche, compte tenu des alternances politiques et des changements des personnes.  

En quoi la France pourrait nous inspirer au Luxembourg ?

Une certaine expertise sur les questions abordées ici serait profitable pour l’équipe ; elle s’alimente de la grande variété des études conduites sur tous les territoires du pays depuis vingt ans et est étayée par les acquis de la recherche internationale grâce à la collaboration étroite avec Romuald Normand, professeur des universités à Strasbourg (voir le site innovation et education lab). C’est une des raisons qui motivent le programme SENS’ed dans lequel nous nous retrouvons avec plaisir et grande efficacité de part et d’autre.