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L’enseignement à distance à l’étranger – La situation en France

Martine Lehnen 15 Fév 2021

Tout comme au Luxembourg, le système éducatif français a dû s’adapter en temps de crise sanitaire. Une situation comparable, mais pas identique s’est présentée en France. L’usage du numérique a joué un rôle important dans l’effort d’assurer la continuité pédagogique, mais il faut encore se poser la question si les outils numériques sont vraiment utiles dans la lutte contre le décrochage scolaire. La pandémie n’a-t-elle apporté que des défis et des problèmes ou ne serait-ce pas une opportunité pour développer le système éducatif et repenser les choses autrement ?  

 

La chronologie (mars 2020 – décembre 2020)

En France, la fermeture des écoles a été annoncée par Emmanuel Macron en date du 12 mars 2020 et a pris effet le 16 mars 2020. La fermeture des établissements scolaires était prévue pour plusieurs semaines, jusqu’aux vacances de printemps au moins ; une date précise pour la reprise « normale » de l’école n’a toutefois pas été communiquée. Quelques établissements scolaires sont toutefois restés ouverts pour accueillir les enfants du personnel médical.

Le 3 avril, le premier ministre Edouard Philippe a annoncé l’annulation des épreuves du bac et du brevet. Les diplômes devraient être validés en contrôle continu. Le 28 avril, Edouard Philippe a déclaré la réouverture progressive des écoles maternelles et primaires à partir du 11 mai avec des classes limitées à 15 élèves. Le 18 mai, les collèges des départements dans lesquels la circulation du virus était plus ou moins sous contrôle ont réouvert leurs portes. A partir du 2 juin, toutes les écoles ont finalement pu accueillir leurs élèves à nouveau.

La rentrée en septembre 2020 s’est déroulée dans le strict respect des règles sanitaires. Tous les niveaux d’enseignement ont réouvert leurs portes et l’intégralité des cours a été assurée en présentiel. L’enseignement à distance resta toutefois une alternative à prévoir au cas où le nombre d’infections grandissait à nouveau, ce qui fût d’ailleurs assez vite le cas. 3 jours après la rentrée des classes, c.-à-d. le 4 septembre, 22 établissements scolaires ont dû fermer leurs portes, dont 10 à Paris. Une centaine de classes était concernée et de nombreux élèves se sont retrouvés à nouveau dans l’enseignement à distance. Quatre jours plus tard, le 8 septembre, le nombre d’établissements fermés s’élevait à 28 et on comptait 262 classes concernées.

Le 28 octobre, le président Emmanuel Macron annonça un nouveau confinement en France, mais différent de celui en mars : les établissements scolaires sont restés ouverts. Cette décision a été motivée au nom de la lutte contre le décrochage scolaire qu’il faudrait éviter à tout prix. Afin d’assurer la sécurité des élèves, un nouveau protocole sanitaire a été mis en place pour faire respecter davantage les mesures sanitaires. Il s’agissait notamment de la limitation des croisements entre élèves, l’obligation du port du masque à tout moment dans l’enceinte des bâtiments scolaires et l’organisation des récréations par groupes. Ni les enseignant/es, ni les élèves étaient toutefois convaincu/es de ces nouvelles mesures, jugées insuffisantes par la plupart. Il y eut même un appel à la grève le 10 novembre pour dénoncer la situation d’alerte sanitaire dans les écoles.

Le 12 novembre, Jean-Michel Blanquer annonça que le nouveau dispositif n’allait pas changer, mais que l’enseignement à distance pourrait davantage être utilisé au lycée. En même temps, il souligna que la présence des élèves à l’école à 100% resterait souhaitable. Pour les collèges et les écoles primaires, la situation n’a pas changé : les cours restèrent en présentiel.

Au mois de décembre, les chiffres de contaminations à l’école ont lentement augmenté. Ainsi, le bilan du vendredi, 18 décembre, a compté 5264 élèves ainsi que 905 personnes du personnel éducatif contaminé/es sur les 7 derniers jours.  Le Conseil scientifique a communiqué quelques mesures pour éviter une 3ème vague en date du 12 décembre dont notamment l’accord des absences scolaires du jeudi, 17 décembre et du vendredi, 18 décembre, 2 jours avant le congé de Noël, pour permettre aux familles un auto-confinement d’une semaine avant les jours de fêtes. Le ministère de l’Education nationale a suivi cette recommandation et a donc déclaré la présence à l’école pendant ces 2 jours comme facultative.

 

Le rôle du numérique

La situation du confinement et des conséquences pour l’enseignement sont comparables à celles du Luxembourg. Du jour au lendemain, les enseignants ont dû adapter et réinventer leur style d’enseignement. L’accélération de l’utilisation du numérique en était une des conséquences principales.

Contrairement au Luxembourg, le ministère de l’Education nationale français n’avait pas mis à disposition un outil numérique commun à utiliser par toutes les classes, comme Microsoft Teams au Luxembourg par exemple. Les enseignants se sont donc retrouvés face au défi de trouver et de choisir des outils numériques adéquats. Beaucoup d’entre eux ont pris recours aux vidéoconférences pour assurer la continuité de leurs cours et une multitude d’outils a été utilisée dans ce contexte dont notamment Teams, Zoom, Padlet et bien d’autres encore.

En collaboration avec un ensemble de médias audiovisuels et la presse écrite, le ministère de l’Education nationale lança en mars le programme « Nation apprenante »[1] ; une plateforme contenant une sélection d’émissions en lien avec les programmes scolaires. Pour compléter l’offre de la « Nation apprenante », le CNED (Centre National d’Enseignement à Distance) mît en place « Ma classe à la maison »[2], un dispositif permettant d’assurer la continuité pédagogique en ligne qui existe sur 3 niveaux : la plateforme pour le primaire, pour le collège et pour le lycée.

Ces dispositifs devaient surtout servir en complément des activités prévues par les titulaires et pouvaient être utilisés de manière autonome pour faire des révisions ou des exercices complémentaires voire supplémentaires. La cohérence avec les contenus des cours n’était toutefois pas garantie. Les dispositifs sont toujours accessibles aujourd’hui et mis à jour régulièrement.

 

Les dispositifs numériques au concret

Les situations exceptionnelles requièrent des mesures exceptionnelles ; une leçon que la majorité des pays et des gouvernements est forcée d’apprendre depuis mars 2020 et qui demande un certain niveau d’innovation pour permettre la continuité d’activités.

Au niveau scolaire, le ministère de l’Education nationale français a donc mis en place deux dispositifs pour contribuer à la continuité pédagogique et lutter contre le décrochage scolaire : la « Nation apprenante » et « Ma classe à la maison ».

La Nation apprenante est un site contenant une sélection d’émissions en lien avec les programmes scolaires dans différentes disciplines : histoire, sciences, littérature, culture, etc. Le site est libre d’accès et offre un grand choix de séries, de films et de films documentaires. Il s’agit en effet d’une collaboration entre France Télévisions, Radio France, Arte et l’Éducation nationale qui mettent à disposition leurs émissions et contenus identifiables par le logo “Nation apprenante”. Les plateformes Lumni et Educ’Arte se sont également rejoint à cette opération. L’ensemble des programmes est également accessible en podcast, en streaming ou en replay sur les sites internet du ministère ou sur les sites et les plateformes numériques de l’audiovisuel public.

Le logo « Nation apprenante » peut être obtenu par tous les media audiovisuels et écrits, publics et privés qui le souhaitent auprès du ministère.

Le dispositif Ma classe à la maison a été développé par la CNED Académie numérique et permet de découvrir, réviser ou approfondir les notions du programme à partir d’un ensemble de ressources : activités en ligne, séances de cours, exercices, cahier de bord, livres numériques, ressources en langues vivantes, etc. Le site se développe constamment avec de nouvelles ressources proposées suivant le calendrier des programmes scolaires.

Les élèves peuvent également bénéficier de classes virtuelles proposées par leur enseignant, si celui-ci possède un compte d’utilisateur. La création d’un compte est gratuite pour les enseignants ainsi que pour les élèves. Les parents d’élèves sont toutefois responsables de la création d’un compte pour leur(s) enfant(s). Le concept de la classe virtuelle peut contribuer au maintien de la classe en permettant à tous les élèves de se retrouver et de s’échanger sur la plateforme en présence virtuelle de leur enseignant. L’enseignant reste en charge de la correction et de l’évaluation des travaux des élèves ; le dispositif n’est qu’une aide complémentaire de ressources.

 

Comparaison avec le dispositif schouldoheem.lu

En comparant les dispositifs proposés par le ministère de l’Education nationale français, on peut constater quelques similitudes avec schouldoheem.lu, un site développé par le SCRIPT en mars 2020 pour soutenir les enseignants, les parents et surtout les élèves dans l’enseignement à distance. Le site schouldoheem.lu propose également des activités et du matériel concret en lien avec les notions du programme scolaire, triés par niveau scolaire, par cycle et par matière. Grâce à un grand nombre de collaborations avec des partenaires externes (musées, services externes), le site propose également des activités de caractère plus ludique comme des défis ou diverses applications et inclut des ressources externes de leurs partenaires. On pourrait donc dire que schouldoheem.lu représente l’équivalent luxembourgeois des deux dispositifs français en essayant de regrouper des activités et fiches de travail ainsi que des ressources numériques diverses. En tout cas ils partagent tous le même objectif : soutenir les enfants, les parents et les enseignants dans cette période incertaine.

 

La crise sanitaire – une opportunité pédagogique ?

Alors que la plupart des enseignants se sont retrouvés et se retrouvent même actuellement dans une situation de défi professionnel majeur, certains essaient de trouver le côté positif de cet état de crise.

Jean-Marie De Ketele, docteur en sciences de l’éducation, pense que chaque crise représente une situation d’opportunité et de développement. Dans le cadre d’un webinaire[3] sur la thématique de l’évaluation en période de crise, il a expliqué qu’il s’agit du moment idéal pour remettre en question certains principes éducatifs et de repenser la pédagogie dans ce nouvel âge.

En effet, il est conscient des difficultés auxquelles font face les enseignants en ce moment, comme par exemple la question de l’évaluation. Beaucoup d’enseignants prennent actuellement recours au contrôle des devoirs à domicile ou au format du QCM pour évaluer les élèves, sans réellement être capables de savoir si c’est vraiment l’élève qui a fait les devoirs et/ou les QCM. Jean-Marie De Ketele pense qu’il serait temps de révolutionner la manière d’évaluer ; il parle donc même du bannissement de l’évaluation sommative, c.-à-d. de l’évaluation par points. Celle-ci ne donnerait pas assez d’informations précises sur les acquis des élèves. Il faudrait établir un bilan individualisé et responsabiliser les élèves dans la procédure d’évaluation, comme par exemple par le moyen du portfolio. Pour permettre ce changement d’approche, le travail collaboratif en équipes devient indispensable.

Dans les mois à venir, il reste à voir quels changements perdureront le confinement et la crise sanitaire et lesquels n’étaient finalement qu’une solution temporaire pour faire face à cette situation imprévue.


[1] https://www.france.tv/collection/1366879-nation-apprenante/
[2] https://www.cned.fr/maclassealamaison
[3] https://www.crowdcast.io/e/comment-penser-et?utm_source=profile&utm_medium=profile_web&utm_campaign=profile
Pour aller plus loin