La conception d’espaces d’apprentissage personnalisés : théorie et pratique

Denis Shirnin 17 Nov 2022

Introduction

Le processus d’apprentissage combine de nombreux éléments, qui influencent individuellement le potentiel d’apprentissage des élèves. L’un de ces éléments est l’espace. En fait, la prise en compte de l’espace dans le processus d’apprentissage est essentielle. Historiquement, le rôle de l’espace dans le processus d’apprentissage a fait l’objet de nombreux débats, mais récemment, ce sujet est devenu d’un intérêt particulier pour de nombreux acteurs de l’éducation. Cela est dû en partie à l’accélération des changements sociétaux et des innovations technologiques. Ces changements ont élargi la notion d’espaces d’apprentissage et stimulé sa refonte conceptuelle.

Les nouveaux espaces d’apprentissage qui sont conçus aujourd’hui doivent être fondés sur des connaissances théoriques et empiriques sur l’apprentissage (Sawyer, 2014). La recherche interdisciplinaire en sciences de l’éducation nous a permis de mieux comprendre la façon dont les gens apprennent. Par exemple, la recherche indique que les méthodologies d’apprentissage actif, collaboratif et réflexif sont plus efficaces que les pédagogies instructives classiques. Ainsi, la conception de nouveaux espaces d’apprentissage ou le réaménagement des espaces actuels doivent tenir compte des principes d’apprentissage, dérivés de ces dernières études (Hod, 2017).

 

Perspective socioculturelle de l’apprentissage et le rôle de l’espace

L’une des observations les plus importantes de la science de l’éducation, porte sur les interactions socioculturelles et leur rôle dans le processus d’apprentissage. Dans cette perspective, l’apprentissage est considéré comme un processus qui permet à une jeune personne de devenir un membre essentiel de la société. En d’autres termes, afin de préparer les étudiants à des pratiques de travail complexes, créatives et collaboratives, les écoles doivent fournir aux élèves des activités d’apprentissage adaptées (Edelson & Reiser, 2005). Le facteur clé de la perspective socioculturelle reconnaît l’apprentissage comme un processus médié par divers éléments tels que le contexte, les interactions, les artefacts et les outils. Cette perspective a été promue par la théorie de la zone de développement proximal de Vygotsky, qui considère l’apprentissage comme un processus influencé par l’environnement externe. En d’autres termes, au cours de son apprentissage, la cognition d’une personne est répartie entre les interactions sociales et l’environnement d’apprentissage (Salomon, 1997).

En prenant en considération le point de vue mentionné, nous pouvons dire que les espaces d’apprentissage représentent tous les espaces où un apprentissage a lieu. Ceci est également connu comme des espaces d’apprentissage distribués, comprenant des environnements et des formats virtuels, physiques, formels, informels, mixtes et autres. Au cours d’une journée, un étudiant peut faire l’expérience d’une variété de formats d’apprentissage ainsi que d’environnements (Keppell & Riddle, 2012). Un exemple est l’utilisation croissante d’espaces d’apprentissage informels et outdoor pour les enfants de l’école primaire.

L’apprentissage en plein air est l’un des formats informels, qui peut offrir une possibilité d’apprentissage dans de nombreuses matières et soutenir le développement holistique des enfants. Ce format est utilisé pour soutenir le développement personnel, social et émotionnel des enfants (Harris, 2018). Le fait de sortir les enfants de la salle de classe représente déjà un changement dans leurs habitudes d’apprentissage. Un endroit extérieur transfère le processus d’apprentissage dans un espace physique et a donc une influence différente sur la faculté de perception que l’environnement de la salle de classe (Peacock & Pratt, 2011). En outre, les espaces extérieurs sont caractérisés comme étant moins structurés et moins formels que les salles de classe traditionnelles, ce qui favorise par conséquent une plus grande mobilité physique.

 

« Design thinking » dans le contexte des espaces d’apprentissage

Le design en soi n’est pas un phénomène statique, mais plutôt un processus dynamique ou une façon de penser. En réfléchissant au design dans le contexte des espaces d’apprentissage, il est important de suivre certaines questions directrices et les approches correspondantes. Voici quelques-unes des questions clés qu’une personne peut se poser : Qu’est-ce que le design thinking ? De quelle manière les étudiants peuvent-ils être impliqués dans le processus de redesign ? Comment l’espace d’apprentissage affecte-t-il les étudiants sur le plan émotionnel et intellectuel ? Quelles sont les stratégies possibles pour trouver les designs d’espace d’apprentissage les plus adaptés ?

Les questions ci-dessus portent sur une méthode d’intégration de plusieurs facteurs dans le processus de conception. Essentiellement, il faut intégrer l’esthétique et la fonction, ainsi que les données disponibles et sa propre intuition. La conception d’une salle de classe, comme toute conception, n’est pas un processus ordonné, qui suit des étapes prédéfinies, mais plutôt un processus dynamique avec beaucoup d’incertitude. Certaines étapes peuvent inclure l’identification des problèmes actuels et la compréhension de son contexte. Il est important de considérer le problème sous plusieurs angles, ce qui implique de réfléchir à des solutions et de redessiner l’espace en plusieurs essais jusqu’à ce que le design choisi commence à avoir un effet positif sur les élèves.

Le processus de réaménagement d’une salle de classe nécessite également une vision claire pour tous les participants, y compris les élèves. Ainsi, la fixation d’objectifs sous un format de déclaration ou formulation de vision et de mission sera une approche efficace pour trouver la solution la mieux adaptée. La formulation de vision (Vision statement) aide tous les acteurs à comprendre pourquoi cela est nécessaire. En d’autres termes, elle énonce des objectifs à atteindre, qui visent à guider une personne ou un groupe tout au long du processus de design. D’autre part, une formulation de mission (Mission statement) permet de mieux communiquer l’objectif du projet et de faciliter la compréhension comment le travail peut être réalisé.

La définition d’objectifs et de visions clairs permet de déterminer l’état actuel d’une salle de classe, avec ses forces et ses faiblesses, ce qui implique également de prendre en compte plusieurs perspectives. Toute salle de classe est considérée comme un espace public, ce qui signifie qu’elle n’appartient pas seulement à un enseignant. Une salle de classe peut être considérée comme un lieu qui facilite l’interaction entre un groupe d’acteurs tels que les élèves, les parents, les collègues enseignants et les administrateurs. Par exemple, afin d’inclure les élèves dans le processus de refonte, un enseignant peut appliquer l’approche des « audits émotionnels ». Cette idée implique la participation des élèves qui expriment leurs sentiments sur différents aspects de la classe au moyen de notes autocollantes (Post-it). L’enseignant demande aux élèves d’identifier ce qu’ils aiment ou n’aiment pas dans la classe en apposant une note sur un objet. La méthode donnée peut aider à révéler les ressentiments émotionnels cachés des élèves envers des objets ordinaires et peu visibles tels qu’une vieille imprimante (Finley, 2016).

 

La conception d’espaces d’apprentissage personnalisés

L’espace d’apprentissage personnalisé peut être défini comme un lieu caractérisé par une interaction multimodale entre le contexte et les activités mutuelles de l’enseignant et de l’étudiant. Dans cette perspective, un espace d’apprentissage personnalisé représente un nouvel environnement de travail pour l’enseignant et les étudiants. L’adaptation ou le passage vers un nouvel environnement de travail implique un effort continu d’affinage des connaissances pratiques, car l’enseignant et les étudiants doivent gérer une part d’incertitude liée aux moyens d’habiter le nouveau contexte (Deed et al., 2014).

La qualité qui guide et aide l’adaptation à un nouveau contexte est représentée par les expériences et les antécédents de l’enseignant et des étudiants sous la forme de réalités personnelles. La réalité de l’étudiant est basée sur son expérience et sa connaissance de la classe, tandis que la réalité de l’enseignant est basée sur un mélange de connaissances et de pratiques formelles et informelles. D’une part, une réalité personnelle est une capacité à répondre à des incertitudes dans les circonstances ou les contextes sociaux. D’autre part, une réalité personnelle est une capacité à affiner et à créer de nouvelles conventions et routines. Ainsi, les espaces d’apprentissage personnalisés sont socialement créés par les interactions entre l’enseignant et l’étudiant, les actions mutuelles et le contexte.

 

Perception des espaces d’apprentissage par les enseignants

La recherche indique que l’adaptation de l’enseignant est liée à plusieurs facteurs tels que l’équilibre entre espace individuel et espace ouvert, espace physique et espace virtuel, contrôle et flexibilité. Dans la plupart des cas, l’enseignant cherche à donner du sens et à imposer un certain ordre aux environnements d’apprentissage, car un nouveau contexte suscite toujours des interrogations et conduit à une éventuelle restructuration des frontières précédemment établis (Usher, 2002).

Selon la littérature, la base de la création d’espaces d’apprentissage personnalisés réside dans la prise de conscience des possibilités liées aux contextes d’enseignement et d’apprentissage disponibles. Le facteur déterminant qui mesure la pertinence d’un espace pour l’enseignement et l’apprentissage est basé sur l’efficacité des interactions entre l’enseignant et l’étudiant et des actions mutuelles qui sont construites sur les potentiels que ce lieu peut offrir. En d’autres termes, à travers la prise de conscience du contexte, l’enseignant doit considérer les possibilités que ce contexte offre pour l’enseignement et l’apprentissage. Afin de traduire un concept abstrait d’espace d’apprentissage en une pédagogie pratique, un effort considérable est nécessaire. Souvent, cette adaptation représente un processus d’essai de différentes pratiques, d’alignement de la pédagogie et de raffinement des conventions et des routines.

 

Perception des espaces d’apprentissage par les enfants

Afin d’avoir une vision objective de l’efficacité des espaces d’apprentissage et du choix des pédagogies, il est tout aussi important de prendre en compte le point de vue des enfants sur les environnements d’apprentissage et la perception de leurs propres expériences d’apprentissage. Selon certaines études, la perception de l’apprentissage par les enfants est étroitement liée à la manière dont ils explorent les objets et les lieux. Cette considération suggère que les enfants construisent des connaissances sur la base de leur appropriation et de leur utilisation des objets, qui ne font parfois pas partie des ressources pédagogiques de l’enseignant. Sur la base de leurs expériences individuelles, les enfants transforment la fonctionnalité et la finalité des objets et leur appliquent ainsi de nouvelles significations. Par conséquent, cette réflexion permet de constater que les enfants ne se contentent pas de reproduire des significations, mais qu’ils en produisent également, influençant ainsi la construction des valeurs et des normes sociales (Corsaro, 2015; Ferreira et al., 2018).

Les enfants perçoivent leur expérience d’apprentissage comme des actions qu’ils accomplissent dans l’espace d’apprentissage et l’activité elle-même est considérée comme un contenu d’apprentissage. La reconnaissance de l’action comme expérience d’apprentissage a des implications importantes. Avant tout, elle suggère que, selon la perspective de l’enfant, le processus d’apprentissage ne consiste pas à apprendre quelque chose, mais plutôt à apprendre comment faire quelque chose. Par conséquent, la recherche suggère que pour les enfants, ce ne sont pas les caractéristiques des objets et des lieux qui sont les plus importantes, mais plutôt l’accès à ceux-ci et la possibilité de les explorer. Ce paradigme confirme que la construction des connaissances à un jeune âge est ancrée dans les expériences empiriques.

 

Alignement pédagogique

Quel que soit le choix de l’enseignant pour sa classe, qu’il s’agisse d’apprendre dans un lieu extérieur ou de réaménager la salle de classe, il est essentiel de penser à aligner la pédagogie avec le nouvel espace d’apprentissage. Ce n’est que récemment les experts ont commencé à ne plus se concentrer uniquement sur les performances techniques des établissements, mais à inclure également le potentiel des performances pédagogiques lors de l’évaluation des environnements d’apprentissage scolaires. La qualité de l’éducation peut souffrir si l’approche pédagogique n’est pas adaptée à un espace d’apprentissage (van Merriënboer et al., 2017).

Le processus d’alignement peut se composer de plusieurs étapes destinées à donner une vision commune sur la manière de mettre en œuvre un programme éducatif. Par exemple, il peut inclure la réflexion sur la description des tâches d’apprentissage et les détails de guidage pour les étudiants, les notes explicatives et les méthodes de transmission de l’information et les types de tâches nécessitant une pratique répétitive (Merriënboer & Kirschner, 2018). La formulation des étapes ci-dessus aura des implications directes sur la conception de l’environnement d’apprentissage dédié.

Chacune des composantes pédagogiques peut avoir des dispositions différentes. Par exemple, un enseignant doit réfléchir aux activités d’apprentissage, à la taille et à l’organisation des groupes d’étudiants pour réaliser diverses activités et à la réflexion sur les espaces d’apprentissage physiques dans lesquels ces dispositions doivent avoir lieu. Les adaptations ou l’alignement des approches pédagogiques ainsi que les modes de formation contribuent à promouvoir la création d’espaces d’apprentissage personnalisés.

 

Notes de conclusion

La création d’espaces d’apprentissage pertinents et efficaces est une tâche complexe qui repose sur de multiples facteurs. Essentiellement, l’élément le plus important qui crée une cohérence dans ce processus est la participation mutuelle de tous les acteurs ainsi que l’inclusion d’éléments sociaux et expérientiels. Une telle entreprise peut être réalisée seulement par une interaction cohésive entre l’enseignant, les étudiants et le contexte physique et social. Dans le cas du design et de la mise en place d’un espace d’apprentissage personnalisé, l’enseignant joue un rôle clé car il doit fournir le cadre de ce qui doit être fait. D’autre part, les étudiants peuvent exercer un certain contrôle sur la façon dont cela est fait. La création d’un espace d’apprentissage personnalisé est une activité mutuelle, ce qui signifie que l’enseignant et les élèves doivent négocier où et quand les modifications ou le réaménagement de la classe auront lieu. L’adaptation de la pratique aux nouveaux espaces d’apprentissage implique l’engagement avec une multitude d’opinions et d’idées concernant l’enseignement et l’apprentissage ainsi que la remise en question des pratiques traditionnelles et de l’autorité.

 

Bibliograhie

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Ferreira, J. M., Karila, K., Muniz, L., Amaral, P. F., & Kupiainen, R. (2018). Children’s Perspectives on Their Learning in School Spaces: What Can We Learn from Children in Brazil and Finland? International Journal of Early Childhood, 50(3), 259–277. https://doi.org/10.1007/s13158-018-0228-6

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