Gestion de l'établissement

Le rôle de la confiance et du sens dans le leadership partagé

Martine Lehnen 22 Sep 2021

Le livre « Distributed Leadership » (2009), édité par Alma Harris, réunit différents points de vue internationaux au sujet du leadership partagé. On y trouve des contributions écrites de trois différentes perspectives : empirique, interprétative et critique. Le chapitre 8 intitulé « The Role of Sensemaking and Trust in Developing Distributed Leadership » rédigé par Louis et al. (2009) se focalise sur le rôle de la confiance et du sens dans le cadre du leadership partagé. Les auteurs ont mené une étude de cas comparative de 3 années dans six écoles secondaires différentes aux Etats-Unis dans lesquelles des initiatives d’implémentation du leadership partagé étaient prévues. Leurs résultats sont présentés sous forme de deux cas focaux contrastés : Overton High School et Middle Fork High School.

Les chercheurs supposent que le sens et la confiance représentent des conditions de réforme. Selon Louis et al. (2009), le sens attribué à une tâche ou un travail est primordial pour le développement de la motivation et de la performance ; ils parlent de « sensemaking ». Leur modèle met en évidence la confiance en tant qu’antécédent et modérateur pour le développement du sens et la manière avec laquelle le leadership est distribué et mis en œuvre. Le développement du sens est un processus continu par lequel les individus ou les groupes développent une compréhension commune de leur environnement (Louis et al., 2009). Une initiative de changement du leadership dans une école ne peut réussir que lorsque ces complexités sont prises en compte. Ainsi, la manière avec laquelle l’initiative de changement du leadership est présentée aux enseignant-e-s s’avèrent essentielle. Les auteurs recommandent de présenter le leadership partagé comme une opportunité pour les enseignant-e-s de modifier les conditions de l’école et de la salle de classe afin qu’ils/elles puissent accomplir leur tâche principale, c.-à-d. enseigner, de manière plus efficace. Une explication et un sens en lien avec la réalité du terrain motivera davantage les enseignant-e-s à participer et à s’investir eux-mêmes dans le leadership partagé.

The paradox of distributing leadership is that it may require a significant « push » from the top of the organization (the principal) in order for more initiative to be taken up by other school professionals or even students and parents (Louis et al., 2009, p. 160).

De même, les auteurs supposent que chaque décision et chaque action prise dans une école seront affectées par le niveau de confiance entre les membres de la communauté scolaire. La confiance est un phénomène dynamique qui est présent à tous les niveaux – individuel, en groupe ou dans une organisation – et qui est élaboré de manière provisoire avec la possibilité de se renforcer, de s’affaiblir ou même d’être violé, perdu ou restauré (Louis et al., 2009). Un niveau élevé de confiance dans une organisation comme l’école peut faciliter le développement du leadership partagé et augmenter le flux de participation et de motivation. La confiance permet également un échange ouvert dans lequel des problèmes ou des conflits peuvent être dénoncés et discutés de manière constructive. La confiance transmet donc un sentiment de sécurité qui peut soutenir la communication et le développement : « Trust makes collective action more feasible » (Louis et al., 2009, p. 161).

Le leadership partagé à Overton High School

L’école secondaire de Overton, spécialisé dans l’enseignement professionnel, avait la réputation d’une école de la dernière chance au début de l’étude de cas en question, due à la clientèle problématique de l’école constituée surtout d’élèves avec des aspirations limitées pour la suite de leur parcours scolaire et professionnel. Le lycée a commencé son chemin vers le leadership partagé lorsque l’État américain a annoncé une aide financière de 25,000$ par an pour les écoles participant aux initiatives de leadership de l’État. Déjà avant la participation à ce projet, le directeur de Overton avait commencé à introduire des changements pour développer le fonctionnement et l’organisation de l’école avec le but de mettre en place des communautés d’apprentissage professionnel : des cours qui n’avaient pas de plus-value pour les élèves ont été annulés et de nouveaux cours ont été proposés. Il a également recruté de nouveaux coordinateurs professionnels et leur a donné carte blanche pour développer de nouveaux programmes et cours. Ceci a amené un esprit d’entrepreneuriat dans l’école et a encouragé une approche d’innovation et de coopération.

La participation au projet étatique sur le leadership partagé a engendré davantage de changements : des groupes de travail se sont formés et l’équipe administrative de direction s’est ouverte et a donné place à un comité de direction – « Steering Committee » (Louis et al., 2009, p. 165). Le comité été constitué initialement du directeur, des directeurs adjoints, des responsables de département et d’un certain nombre d’autres membres clés du corps enseignant. Le directeur a montré le désir de répartir le pouvoir et a préféré mener des discussions profondes quant aux possibilités de développement que de prendre une décision seul.

Avec le changement de directeur qui a eu lieu dans les deux ans suivant le début du projet, le comité s’est à nouveau ouvert pour inclure des enseignant-e-s volontaires pour coordonner les communautés d’apprentissage professionnel. En dehors du comité de direction, chaque enseignant-e s’est investi plus volontairement dans d’autres missions du leadership, soit dans des groupes de travail ou dans le cadre d’événements spécifiques.

Tout au long du projet, la culture scolaire d’Overton était caractérisée par un niveau élevé de confiance entre tous les impliqués. Le corps enseignant ressentait une certitude que le comité de direction faisait tout pour rendre leur école meilleure et pour leur fournir toutes les ressources nécessaires. Les priorités à considérer étaient clairement communiquées, à savoir les élèves et leurs apprentissages et, le corps enseignant et sa créativité. Les enseignant-e-s avaient en effet de nombreuses opportunités pour s’investir et influencer le développement de l’école ce qui leur donnait un sentiment d’appréciation.

Teachers thus became additional story-tellers supporting the important role of teachers as leaders in the school (Louis et al., 2009, p. 169).

Le leadership partagé était tellement cohérent avec le fonctionnement de l’école, que les enseignant-e-s ne se rendaient même plus compte qu’il s’agissait d’une initiative distincte. Ceci a également entraîné un changement de perception des enseignant-e-s quant à leurs élèves : au lieu de se focaliser sur la renommée de « l’école de la dernière chance », ils/elles se sont concentré-e-s sur le potentiel de leurs élèves et ont dorénavant mis l’accent sur les relations personnelles avec les élèves. Le focus sur la résolution de problèmes à travers des discussions de fond entre le corps enseignant est allé main dans la main avec l’instauration du leadership partagé. La hiérarchie d’Overton n’a pas disparu à cause du leadership partagé, mais il y a eu une répartition dans la prise de décisions. Certaines décisions ne pouvaient cependant qu’être prises par l’administration, mais les limites entre le corps enseignant et les administrateurs sont devenues plus fluides et flexibles.

Le leadership partagé à Middle Fork High School

L’école secondaire Middle Fork avait également une réputation assez négative liée entre autres à sa localisation dans un quartier luttant contre le taux croissant de pauvreté et de criminalité. Les activités des gangs du quartier affectaient également la réputation de l’école et y ont même débordé. L’ambiance à l’école entre élèves et entre enseignant-e-s était déconcertante et tumultueuse et l’organisation administrative était marquée par l’instabilité – Middle Forks a vu passer 12 directeurs différents dans les 25 ans avant le début de l’étude de cas. En consultation avec le nouveau directeur de Middle Fork, l’administration de région a décidé de participer à l’initiative du leadership de l’État précédemment mentionnée en espérant que plusieurs membres du corps enseignant allaient se porter volontaire et ainsi alléger la charge administrative de l’école.

L’équipe administrative de Middle Fork a travaillé de manière isolée avant la participation à l’initiative étatique. Les décisions et l’implémentation de nouvelles règles pour gérer la discipline et éviter les incidents criminels ont été prises sans collusion avec le corps enseignant. Ainsi, l’école a reçu des détecteurs métalliques dans les entrées et a instauré une politique stricte d’uniformes scolaires. En général, l’équipe administrative était responsable pour faire régner la loi sur le terrain, ce que de nombreux enseignant-e-s ont perçu comme une répression. Ceci a engendré un nouveau changement dans l’ambiance de l’école : beaucoup de membres du personnel enseignant se sont retirés des groupes de travail existants et ont cessé leur bénévolat dans les projets extrascolaires.

L’initiative du leadership partagé a surtout perçue avec scepticisme et la plupart étaient réticents à se joindre au projet. En effet, le projet n’a pas amené de vrai changement concernant l’organisation et la structuration de l’école. L’équipe de travail responsable pour l’implémentation du projet a mis du temps à se trouver et consistait finalement en un enseignant, un conseiller d’orientation, la directrice et le directeur adjoint. La participation pour l’enseignant et le conseilleur d’orientation a était obligatoire. L’équipe ne se voyait que rarement au complet puisque la directrice ne participait presque jamais aux réunions et formations et a d’ailleurs souvent fait preuve de comportements cyniques et égoïstes. Elle semblait surtout vouloir répartir sa charge de travail et espérait recevoir du support pour ses propres idées et initiatives. Le seul enseignant de l’équipe a finalement décidé de quitter l’équipe parce qu’il ne voyait plus de potentiel dans l’initiative. Suite à cela, le directeur adjoint et le conseiller d’orientation ont incité la directrice insatisfaite à demander à d’autres enseignant-e-s de se joindre à l’équipe. Cinq enseignant-e-s ont au final rejoint l’équipe et ont participé à des formations, sans la directrice. Ceci a engendré un sentiment de méfiance dans l’école envers le groupe de travail responsable de l’implémentation du leadership partagé. Leur tâche a été surtout perçue comme moyen de s’alléger de la charge de travail. De plus, des initiatives d’autres membres du corps enseignant ont été ignorées.

Many teachers saw the initiative as a way for the administration to pass off work, to have them « step up and share some of the leadership responsibilities (Louis et al, 2009, p. 174).

Après deux ans, un nouveau directeur a été nommé pour Middle Fork. Celui-ci était plus souple et moins contrôlant que sa prédécesseure et voulait vraiment essayer de mobiliser plus d’enseignant-e-s à participer aux prises de décisions et aux changements de l’école, mais seuls quelques groupes de travail se sont finalement formés pour participer aux différentes initiatives. La méfiance et le scepticisme étaient encore trop présents chez la plupart des membres de l’équipe pédagogique.

[…] distributed leadership initiatives reinforced their belief that they should not trust the goodwill or the support that they would get from administrators (Louis et al., 2009, p. 174).

Finalement, le leadership partagé à Middle Forks n’a pas pu être implémenté dans l’école et n’est resté qu’un concept qui ne semblait pas avoir de rapport avec la réalité du terrain. L’absence de sens ressenti par les enseignant-e-s n’a pas permis de tisser des liens avec les initiatives déjà présentes dans l’école et de percevoir le leadership partagé dans un contexte plus large.

Conclusion

Les deux écoles secondaires Overton et Middle Fork montrent que les conditions et les comportements initiaux entre les différents membres d’une école influencent et conditionnent les résultats d’une initiative comme le leadership partagé, qui vise à la base la promotion de l’implication des enseignants. Selon les auteurs, le niveau de confiance présent dans une école peut influencer qui participera à une initiative et comment les personnes impliquées définissent le sens d’un tel projet. La responsabilité des directeurs/directrices est donc entre autres de créer des opportunités réelles de développement et de changement.

Sources

Louis K.S., Mayrowetz D., Smiley M., Murphy J. (2009) The Role of Sensemaking and Trust in Developing Distributed Leadership. In: Harris A. (eds) Distributed Leadership. Studies in Educational Leadership, vol 7. Springer, Dordrecht. https://doi.org/10.1007/978-1-4020-9737-9_9