Culture scolaire

L’école de la vie – Une génération pour tout changer

Interviewé :
Julien Peron 25 Mar 2021

Julien Peron est le réalisateur des films « C’est quoi le bonheur pour vous ? »[1]  et « L’école de la vie, une génération pour tout changer »[2]. Il est également le créateur du « Festival pour l’école de la vie »[3] et du congrès « Innovation en Éducation »[4],  qui attire tous les ans plus de 15 000 personnes du monde entier autour de l’éducation. Il vient également tout juste de sortir le magazine « Innovation en Éducation »[5], qui est distribué partout dans le monde.

Pour en savoir plus sur Julien Peron, nous vous invitons à regarder sa conférence TEDx « L’éducation à la vie » ici.

Ce qui suit est une transcription des questions posées à Monsieur Peron lors du cinédébat du 14 janvier 2021 sur le film « L’école de la vie – Une génération pour tout changer »

Quelle est la question qu’on vous pose le plus souvent suite à la vision du film « L’école de la vie » ?

Il y a une question, qui peut revenir assez régulièrement, c’est « est-ce que vous avez des connections avec le ministère de l’éducation nationale pour faire avancer les choses plus rapidement ? » C’est une question qui revient quand-même assez souvent. Alors, des connections – oui, c.-à-d. qu’on sait que des personnes du ministère viennent, soit au festival pour l’école de la vie, soit au congrès de l’innovation en éducation.

Moi-même, j’étais en contact, il y a deux ans, avec la directrice de l’époque de la DGESCO. La DGESCO en France, c’est le département innovation & éducation. La directrice de l’époque était venue justement au festival pour l’école de la vie et elle s’était rendue compte par elle-même de l’énergie qu’il y a sur place. Ce sont 15000 personnes qu’on peut rencontrer et elle voulait comprendre un peu l’engouement et pourquoi il y avait autant de monde etc. Ça l’intéressait aussi de nous aider et par après les choses ont évolué et puis, lorsqu’une nouvelle personne l’a remplacée, je n’ai plus eu de nouvelles. Sinon, je suis en contact avec d’autres intervenants ; des écrivains, des acteurs aussi, qui ont de l’expérience dans le monde de l’éducation et qui, depuis 30 à 40 ans, mettent de l’énergie à travers des conférences par exemple ; eux sont aussi en contact avec certaines personnes au sein du ministère. La plupart des gens est vraiment au courant déjà de tout ce qu’on est en train de mener, de toutes ces initiatives. Je dis très souvent que, c’est un paquebot, donc ça avance très lentement. Ça avance, mais ça avance très lentement, donc il faut être patient entretemps.

Pensez-vous que la pédagogie active pourrait être ajouté à notre système actuel ou qu’un changement complet est nécessaire ?

Alors, est-ce que ça peut être ajouté au système ? Oui, parce que ça l’est déjà ; c’est déjà le cas. C’est pour ça que je précise que ça avance, mais que ça avance lentement. Et pourquoi c’est déjà le cas ? En France il y a, à mon sens, 50% du corps enseignant, qui est totalement ouvert à l’idée qu’il y ait d’autres approches, d’autres outils, d’autres pratiques et donc du coup très souvent, ils se forment par eux-mêmes. Ils s’auto-financent pour aller suivre des formations ou pour se renseigner sur d’autres choses et après, ils mènent des expériences dans leur classe pour voir ce qui marche et ce qui ne marche pas. Puis après, il y a 50% des enseignants, qui ne sont peut-être pas encore totalement ouverts à l’idée de tout ce qu’on a pu évoquer dans le film ; ils ne sont pas encore forcément prêts à repenser leur façon d’accompagner les enfants. Il ne faut surtout pas leur en vouloir parce que c’est une question d’adaptation ; on a tous nos propres filtres, notre histoire, notre propre éducation, donc ces personnes-là qui ne seraient peut-être pas encore totalement ouvertes, je pense qu’au fur et à mesure des années, elles vont s’ouvrir de plus en plus. C’est vraiment une question des semages de graines et de montrer et d’inspirer autour de nous et de montrer que ça fonctionne.

Il y a par exemple une personne qui nous a écrit sur la page facebook du festival pour l’école de la vie suite à une parution qu’on a faite sur le magazine « L’école de la vie » et qui intervient sur un post en disant : « Je me croyais seule à proposer de la méditation et des exercices de relaxation à mes élèves. » Sur un ensemble de corps enseignant de 25 personnes, elle me disait qu’elle était la seule à le faire et elle se sentait un peu seule. Ce commentaire résume peut-être un peu ce qui se passe. A l’échelle un peu plus large, dans notre société, il y a beaucoup d’enseignants qui essaient comme ça et qui mènent ce que j’appelle des « expériences » qui fonctionnent. Puis après, il y a encore une grande partie soit, qui ne sont pas vraiment prêts, soit qui ne vont pas aller dans le sens de ce que pourrait faire cette enseignante, qui ne seront peut-être pas totalement d’accord. C’est là où je pense qu’il y a vraiment encore beaucoup d’énergie à mettre, parce que dans l’idéal, il faudrait qu’il y a ait davantage de professionnels qui s’y intéressent. Il faudrait même qu’il y ait davantage de chercheurs, qu’il y ait plus de scientifiques qui s’intéressent à tous ces outils, à toutes ces pratiques qui existent pour valider en réalité ces procès. On accorde vraiment beaucoup de crédit aux scientifiques dans notre société respective, donc si un scientifique valide un procès, à priori c’est que c’est quelque chose de bien et qui fonctionne, donc il nous faudrait davantage de chercheurs et de scientifiques qui rentrent dans nos écoles, qui vont dans ces classes, où il y a des enseignants qui essaient des choses. Voilà un peu ce qui nous manque. Il y a déjà des choses qui se font, ça c’est une certitude et dans vraiment beaucoup d’établissements scolaires, mais ce n’est pas forcément visible parce que, une fois de plus, personne n’en parle. C’est pour ça qu’on crée ce magazine « L’école de la vie » entre autres, c’est pour en parler. Ça avance dans le bon sens.

Il y avait beaucoup de reprises à la question de la « bonne posture » de changer de posture. Mais comment y arriver ?

C’est facile de le dire « changer de posture », comme beaucoup de choses. Ce n’est pas forcément évident pour moi de vous répondre de manière très précise, puisque je ne suis pas enseignant, je ne suis pas accompagnant, mais, par contre j’ai un point de vue de ces échanges que je peux avoir avec tous ces professionnels et pour moi ce qu’il faut, et c’est d’ailleurs dit dans le film, c’est changer notre regard. C’est vraiment une question du regard qu’on porte à travers la posture, par exemple.

Pour aller dans le sens de changer son regard, il faut comprendre que tout part de nous. La réalité est vraiment là, c.-à-d. si nous déjà, on n’est pas dans cette démarche proactive, par exemple de s’occuper de soi, de faire en sorte d’être bien dans corps, d’être bien dans sa tête, de manger sainement, d’avoir une activité sportive, de s’entourer de gens positifs et d’informations positives, d’aller souvent dans la nature, de pratiquer des exercices de relaxation, etc. On a vraiment une obligation ou une responsabilité citoyenne de prendre soin de soi avant de vouloir prendre soin des autres ; il faut essayer d’être dans cette démarche citoyenne consciente. Autrement dit, en tant qu’enseignant avant de vouloir s’occuper d’enfants et donc de classe, il faut d’abord s’occuper de soi. On pourrait dire aussi à un infirmier avant d’être infirmier et avoir envie de s’occuper de patients qui sont malades, il faut prendre soin de soi ; on peut vraiment le transposer comme ça à toutes ces personnes qui se font en accompagnement. Plus largement aussi, juste en tant que citoyen, je crois qu’on a vraiment une vraie responsabilité citoyenne de vraiment s’occuper de soi. Peut-être que là justement, on serait dans une autre posture parce qu’on verrait les choses d’une manière très différente, c.-à-d. que notre angle de vue, nos comportements, notre façon de réagir face à des événements seraient vraiment très différents.

Je peux vous confirmer cette démarche avec beaucoup de certitude, puisque j’ai commencé ce chemin de développement personnel de connaissances de soi très tôt vers l’âge de 12 ans. On voit bien que plus les années passent, plus de personnes s’intéressent justement à cette connaissance de soi et on sait que c’est le travail d’une vie, donc c’est pour ça que j’insiste sur le fait qu’on aurait vraiment tout intérêt notamment à accompagner des enfants le plus tôt possible, à semer des graines dans cette direction, à leur faire comprendre leurs émotions et à prendre soin d’eux. Mais pour ce faire, il faut que les enseignants soient aussi dans cette dynamique, que tous les professionnels qui accompagnent les enfants et les citoyens soient dans cette dynamique et que l’ensemble au final, c.-à-d. les parents, les enseignants et donc les enfants par la suite, soit dans cette démarche comme si c’était quelque chose comme une routine. Quand on mange, par exemple, on ne réfléchit pas, on mange. Ça devrait être logique que tous les matins, avant d’aller au travail, on prenne au moins une heure pour soi par exemple, si ça rentre bien dans notre agenda, pour prendre soin de nous. Le point de départ vient de là.

Que pensez-vous faudrait-il changer dans la formation des enseignants ? Est-ce qu’on pourrait changer quelque chose ?

Je pense que la formation des enseignants est déjà très bien. Plutôt que changer, je dirais qu’on peut l’améliorer parce qu’il y a déjà énormément de choses qui sont extrêmement positives. Il faudrait plutôt l’améliorer et apporter d’autres ressources, d’autres outils, un peu de ce qu’on évoque d’ailleurs dans le film « L’école de la vie ». D’autres outils, qui amèneraient déjà le corps enseignant à être beaucoup plus proches les uns des autres, à être beaucoup plus dans la coopération. Un outil qui est notamment formidable, c’est la CNV, la communication non violente, mais c’est un outil parmi une palette d’une centaine d’outils différents, divers et variés, qui pourraient vraiment être pertinents à intégrer dans les cursus de formation des enseignants. Si on veut être enseignant et qu’on veut s’occuper des enfants, il faut déjà que nous aussi on ait un peu compris tous les mécanismes de la communication, des émotions, comment prendre soin de soi. Dans cette formation d’enseignants, on devrait apporter en plus cette notion. Je sais que ça commence à arriver tout doucement, en tout cas en France, je sais que progressivement c’est en train d’aller dans cette direction, mais une fois de plus il faut être extrêmement patient. C’est pour ça que je dis qu’il faut une génération pour tout changer ; je pense qu’en 25 ans si on s’y met tous, on peut vraiment accélérer le procès. Donc ça serait plutôt de l’amélioration plutôt que du changement ; une amélioration qui serait liée au développement de l’être ; l’être, c.-à-d. nous en tant qu’enseignant et puis après par projection évidemment inspirer les enfants aussi à faire la même chose.

Comment voyez-vous l’école de demain ?

L’école de demain pour moi, elle est vraiment à l’image de l’école de la vie. Cette fameuse école que j’ai envie de créer, donc une école nouvelle. Pour moi, les écoles du futur devraient associer un centre de formation pour les enseignants, un centre de formation pour les parents et un centre de développement personnel pour tout le monde. Alors pourquoi un centre de formation pour les parents ? Parce que justement nous n’apprenons pas à être parents. Une fois de plus, il y a plein de professionnels qui pourraient aider les futurs parents, donc avant de se lancer dans cette belle aventure que d’être parent, les « briefer » quelque part un peu sur ce que potentiellement ils peuvent attendre dans le futur, grosso modo de comment ça peut se dérouler et puis aussi par la suite, une fois qu’on est parent, comme il n’y a pas de mode d’emploi et que tout le monde fait du mieux qu’il peut et que chacun y met beaucoup d’amour. On sait maintenant qu’il y a quand-même énormément de professionnels qui sont là pour accompagner les parents et il y en a qui ont fait leur activité depuis 30 ans ou 40 ans, donc je crois vraiment que ça serait très intéressant d’intégrer ça dans l’école, en tout cas que les parents puissent vraiment s’intégrer dans l’école. On voit bien qu’actuellement on a du mal à faire entrer les parents dans la classe ou dans les écoles, puisque les parents sont vraiment arrêtés comme une barrière, ils ne peuvent pas rentrer. Je pense qu’on a tout intérêt à impliquer les parents dans les écoles et puis les accompagner et les guider.

Le centre de formation pour les enseignants c’est à peu près la même chose. Pourquoi ? Parce qu’il y a énormément d’outils autour de nous. Je pense qu’on aurait vraiment intérêt, un peu comme un bon thérapeute ou un bon professionnel du bien-être à se former comme ça, en permanence parce que c’est sans fin, c’est une formation continue. Je crois que ce serait vraiment intéressant qu’il y ait une espèce de formation en continue sur d’autres approches.

Le centre de développement personnel parce que, comme je le disais, tout ça on n’enseigne pas, on ne nous enseigne pas de prendre soin de nous, ce n’est pas une évidence pour tout le monde. Alors que si, dès le départ justement, on nous accompagnait dans cette direction, je crois qu’on ferait un beau cadeau à l’humanité et à la planète. Donc ce centre de développement personnel serait là pour accueillir des professionnels qui sont dans ce domaine, pour donner des conférences, faire des stages, des ateliers et donc accompagner les parents, les enfants et les enseignants dans cette démarche de connaissance de soi.

Où en êtes-vous actuellement avec votre projet d’école ?

Effectivement, c’est encore un stade de projet. Ça fait 4, 5 ans maintenant que c’est en stade de projet. Ça avance très bien à mon sens, parce que je reçois au moins une fois ou deux fois par semaine des emails de personnes qui veulent participer à ce projet. Du coup j’ai créé une base de données et maintenant il y a un peu plus que 400 personnes dans cette base qui sont vraiment des profils divers et variés, qui viennent vraiment de tous les domaines et qui ont envie de donner soit leur temps, soit leur énergie. Pour vous donner une idée, il y a des architectes, il y a évidemment des enseignants, des directeurs d’établissement, il y a des professionnels de l’accompagnement, il y a même des thérapeutes, des plombiers, des investisseurs privés, il y a des fondations – donc les profils sont vraiment divers et variés, mais avec un tronc commun : c’est que cette idée d’une école de la vie leur parle beaucoup et il leur semblerait que ce soit nécessaire qu’une école de ce genre voit le jour pour inspirer d’autres porteurs de projets à faire la même chose. Dans ce sens-là, ça avance très bien. Il y a même des personnalités, des gens qui sont connus et parfois même très connus, qui veulent participer aussi au projet « L’école de la vie ». On m’a proposé une bonne quarantaine de terrains depuis le début du projet ; il y a beaucoup de terrains dans le sud de la France. Je n’ai pas encore eu le temps d’aller les visiter parce qu’on a des activités pluridisciplinaires avec les événements et maintenant le magazine, on a une agence de communication, on organise des séjours vélo, yoga, méditation ; on ne fait pas mal de choses donc du coup ce n’est pas évident pour moi de trouver le temps nécessaire pour aller beaucoup plus dans l’idée de mettre sur terre cette école, mais ça avance dans cette direction.

Je me considère surtout comme un citoyen du monde, mais j’aime aussi cette casquette de chef d’entreprise intuitif, parce que tout ce que je fais depuis 18 ans, depuis que j’ai créé mon entreprise, je le fais de manière purement intuitive. Cette école va exister un jour, ça c’est une certitude et quand je sentirai que c’est le bon moment, c’est que ce sera le bon moment. Me connaissant, ça peut être demain, ça peut être dans quelques mois ou dans quelques années ; c’est difficile de se projeter, donc je ne veux pas donner de date. Ce qui est une certitude, c’est que cette école va exister, vous pouvez compter sur moi.

Pensez-vous que la place du collectif est assez présente ?

Le collectif pour moi c’est primordial. En fait, c’est même ce qui nous manque d’une manière déterminante dans nos systèmes. On nous met en compétition dès l’école. On voit bien par après, dès qu’on rentre dans le monde d’entreprise, il y a aussi un principe de compétition qui est soit très clair et affiché, soit qui est à lire entre les lignes, mais globalement notre société repose un peu sur la compétition. Pour moi le collectif est très important ; on a tout intérêt à faire en sorte que les enfants puissent justement avancer dans un principe de coopération. Il y a plein d’outils pour aller dans le sens-là et pour essayer de faire en sorte que les enfants comprennent qu’ils ont vraiment tout intérêt à avancer ensemble, parce qu’ils sont complémentaires. Comme j’ai déjà dit avant, j’ai réussi à découvrir mes excellences très tôt. Les excellences pour moi c’est là où on est très, très bon d’une manière innée et naturelle dans quelque chose ou dans plusieurs choses, alors que pour d’autres individus ça va être plus compliqué. C’est ce qui pour moi fait toute la magie parce qu’on en devient complémentaire les uns des autres. Il y a plein d’outils qui nous permettent d’aller dans ce sens-là.

Pour aller plus loin