Les neurosciences cognitives désignent une discipline scientifique qui permet de comprendre les capacités cérébrales de l’enfant. Le Dr. Mazeau[1], neuropsychologue infantile, nous explique dans cette interview, le rôle des différentes fonctions cognitives dans la tâche scolaire d’un pédagogue et à quel point les connaissances des neurosciences cognitives améliorent la qualité scolaire. Ainsi, l’enseignant peut fournir des aides plus efficaces à l’élève quand il sait faire un lien entre ses observations et expériences pragmatiques usuelles et les connaissances du fonctionnement cognitif.
Apprendre repose sur les capacités cérébrales (neuro-cognitives) de l’enfant et, en retour, modifie le cerveau de l’enfant. Comprendre « comment ça marche » est donc un élément indispensable de la « boîte à outils » du pédagogue. Plus concrètement, connaître le rôle des différentes fonctions cognitives qui sont sollicitées dans telle ou telle tâche scolaire intervient dans trois situations-clés et complémentaires au cours des apprentissages.
1 – Optimiser la pédagogie pour tous
Cela permet à l’enseignant d’incorporer certaines techniques utiles dans sa stratégie pédagogique et de dispenser aux élèves des conseils pour qu’ils en tirent le meilleur parti. Par exemple :
2 – Comprendre et mettre en place des adaptations/compensations pour les DYS (et TND)
Les connaissances issues des neurosciences permettent aussi une meilleure adéquation des modalités d’enseignement en cas de difficulté au cours de l’apprentissages (oubli, erreur, échec), qu’il s’agisse d’une difficulté ponctuelle, ou liée à l’environnement psychoéducatif, ou encore d’un trouble durable et structurel tel un DYS. La connaissance du fonctionnement cognitif lié à telle ou telle tâche permet :
Cette connaissance des sous-tâches et des fonctions cognitives qui les sous-tendent permet de mieux appréhender quelles seront les aides que l’enseignant peut fournir et qui seront les plus efficaces, mais aussi savoir pourquoi, quand et comment s’affranchir de certaines sous-tâches pour permettre l’accès à la tâche-cible ou à un apprentissage de plus haut niveau
Contrairement à ce qu’imaginent de nombreux enseignants, les informations issues des neurosciences s’intègrent très naturellement dans leur domaine de compétences : il leur faut simplement disposer des éléments qui leur permettent de faire le lien entre les observations qu’ils conduisent en classe depuis toujours et le « répertoire » de sous-tâches et fonctions cognitives qui les sous-tendent[3].
3 – Comprendre, repérer et contourner les situations de double-tâche pour tous les élèves « fragiles »
Cela suppose :
Eviter les doubles-tâches, sur-handicap méconnu ou très sous-estimé, permet que l’enfant progresse dans les apprentissages à hauteur de son âge réel, de ses capacités intellectuelles et de sa motivation, en dépit de son DYS (ou de ses difficultés)
Oui, ces « neuromythes », sous diverses formes, sont très répandus non seulement chez les enseignants mais aussi chez les parents et dans le grand public. Les neurosciences semblent à tous à la fois « intéressantes » et complexes : quelques notions simples – mais fausses ! – ont alors un grand succès[4]…
Ce sont des sortes de « fake news » et, à ce titre, ces neuromythes ont trois inconvénients majeurs :
Les neurosciences ne sont pas inabordables ni réservées à une élite de « neuro-spécialistes ». Cependant, comme pour tout savoir complexe, elles doivent être enseignées. Elles ont un impact dans de nombreux domaines (médical, social, financier, linguistique, pédagogique, etc.). Il faut faire confiance aux « passeurs », spécialistes et vulgarisateurs expérimentés dans un domaine d’application, ici l’intersection médecine/pédagogie : ils mettent ces savoirs à portée des uns (médecins, rééducateurs) et des autres (enseignants). Il faut donc faire l’effort de se former : livres, webinaires, vidéos, conférences, etc. délivrés par des professionnels reconnus.
Le terme « intelligence émotionnelle » doit être précisé : c’est une sorte « d’auberge espagnole » qui peut vouloir dire tout et n’importe quoi !
L’intelligence est définie :
Cette dernière définition est celle qui importe en neuropsychologie et en pédagogie, puisque c’est elle qui détermine le niveau de performance du sujet dans toutes les autres fonctions cognitives.
Bien sûr, les émotions y jouent un rôle et interfèrent, au même titre que les autres fonctions cognitives : elles ne peuvent cependant pas du tout être assimilées à une « intelligence ». Cela ne signifie pas que les émotions ne sont pas importantes : c’est important dans de très nombreuses circonstances de la vie (c’est donc un « talent » très utile !), mais ce n’est pas une « intelligence ».
Sinon, oui les émotions font partie intégrante des neurosciences cognitives. Ces dernières comprennent deux « volets » intimement liés et interdépendants : ce que l’on a appelé la cognition « froide » (les fonctions sensori-motrices et intellectuelles) et la cognition « chaude » (les fonctions relationnelles et émotionnelles).
Dans un premier temps, c’est la cognition « froide » qui a d’abord été étudiée (parce que c’était plus facile !) : langage, attentions, mémoires, fonctions exécutives, etc. Mais depuis une quinzaine d’années, les émotions, la théorie de l’esprit, les aspects relationnels et interpersonnels, le « circuit de la récompense » (balance plaisir/déplaisir), etc. sont beaucoup étudiés. Plus important, le lien entre tous ces éléments est mis en avant.
Enfin, plus récemment, c’est le phénomène de la conscience qui est exploré.
À ma connaissance, deux grands types d’émotions ont été bien étudiées et mises en rapport direct avec les apprentissages.
1 – La curiosité, l’intérêt
Il s’agit là d’un sujet très important puisque c’est la racine même de tous les apprentissages chez le bébé, puis un facilitateur important au décours de la scolarité.
On a montré que les bébés étaient génétiquement équipés pour s’intéresser à la nouveauté : c’est une fonction fondamentale, qui alimente (automatiquement) toutes les autres fonctions sensori-motrices et intellectuelles encore très immatures et permettent les premiers apprentissages. Évidemment, on ne peut pas s’attendre à ce que, spontanément, les élèves soient justement pleins de curiosité pour chaque cours ou savoir dispensé par les enseignants ! Mais, lors d’un apprentissage proposé par un tiers (donc une situation proche de la situation scolaire), on a montré[5] une facilitation importante de l’apprentissage si la curiosité est piquée (p.r. au même apprentissage dispensé comme un cours classique, sans stimulation préalable).
2 – Le circuit de la récompense.
La mise en évidence de ce circuit – central aussi bien sur le plan anatomique que fonctionnel – de son fonctionnement et de son rôle a constitué un moment-clé pour comprendre des concepts-clés pour les apprentissages tels que la motivation (intrinsèque/extrinsèque) ou l’orientation de l’attention et l’attention soutenue, et comprendre les mécanismes défaillants dans le TDA/H.
Conclusion
Les connaissances issues des neurosciences cognitives sont très utiles pour tous, en particulier pour les pédagogues ; elles sont indispensables pour différencier, adapter, compenser, inclure les DYS (et tous les TND).
Il s’agit non seulement d’accepter qu’il y ait plusieurs chemins pour réaliser un apprentissage ou un exercice, pour accéder à un savoir ou un raisonnement (« vicariance »), mais de mieux comprendre et connaitre les différents chemins qu’il est pertinent de proposer en fonction des difficultés que manifestent les enfants.