Gestion de l'établissement

Repenser le temps scolaire : passer des trimestres aux semestres.

Véronique Pelt 17 Nov 2020

Dans le cadre de leur développement scolaire, certains lycées ont choisi de repenser le temps scolaire en passant d’un système trimestriel à un autre semestriel. Pourquoi faire un tel choix ? Quels sont les bénéfices pour les enseignants, les élèves, les familles, etc. ? L’organisation scolaire en semestre a-t-elle un réel impact sur les apprentissages ou le bien-être à l’école ?

Le débat trimestre/semestre est un sujet qui vient régulièrement s’inviter dans les discussions sur l’optimisation de l’organisation du temps scolaire. Ainsi, en 2011, le Ministère de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse luxembourgeois (alors Ministère de l’Education nationale et de la formation professionnelle) publie un communiqué indiquant sa volonté d’adopter un rythme annuel par semestres. Projet qui cependant ne verra pas le jour malgré l’avis du Conseil supérieur de l’Education nationale, des Collèges de directeurs de l’enseignement secondaire (classique et général) et du Collège des inspecteurs de l’enseignement fondamental. Toutefois, cette question continue à interroger le monde éducatif dans de nombreux pays occidentaux ayant une organisation par trimestre, car de nombreux arguments sont en faveur de ces différents rythmes.

Au Luxembourg, le rythme scolaire annuel est défini par l’offre scolaire des lycées. Or celle-ci est très diversifiée, ce qui peut avoir pour conséquence une coexistence des rythmes semestriel et trimestriel dans un même établissement. Afin d’harmoniser cette organisation du temps scolaire, certains lycées ont opté pour les semestres. Cet article a pour objectif de comprendre ce qui les a amenés à faire ce choix, de voir quelles sont les difficultés auxquelles ils ont eu à faire face et quels bénéfices ils en ont tirés. Il ne s’agit en aucun cas de faire l’apologie de l’organisation par semestres mais bien d’y porter un regard réflexif.  

Pour ce faire, nous nous baserons sur les exemples de l’Atert Lycée Rédange (ALR) et du Sportlycée (SLL) qui ont évalué leur projet respectif après trois ans de mise en œuvre des semestres.

L’origine du projet

Remonter aux origines de la mise en œuvre des semestres permet de resituer le projet dans un contexte et un environnement donné. Une direction ne décide pas durant les vacances d’été de programmer une organisation par semestres à la rentrée scolaire suivante. Cela nécessite une préparation minutieuse qui ne peut se faire sans prendre en compte les éléments contextuels et factuels 

Il est en effet indispensable de penser l'organisation scolaire comme un concept pédagogique à part entière.

Que ce soit à l’ALR ou au SLL, un soin particulier a été apporté à la mise en œuvre de l’organisation du temps scolaire par semestres. Une réflexion minutieuse et de longue durée a préexisté avant la mise en œuvre de ce projetUne autoévaluation s’est imposée permettant à des groupes de travail de réfléchir aux procédures indispensables à prendre en compte pour optimiser ce choix puis de vérifier l’acceptation de ces mesures par la communauté scolaire dans son ensemble. Il est en effet indispensable de penser l’organisation scolaire non pas uniquement d’un point de vue pratique/physique (le temps) mais avant tout comme un concept pédagogique à part entière.  

Suivant l’établissement, l’origine du projet est différente. Pour le SLL, il s’agissait avant tout d’améliorer l’équilibre scolarité/sport, alors que pour l’ALR, il s’agissait de répondre au mieux à leur devise « Zäit fir méi ». Optimiser le temps scolaire c’est aussi penser le développement scolaire pour que bien-être individuel et collectif rime avec réussite scolaire. 

L’ALR a basé ses réflexions sur deux travaux de candidatures [1], le premier réfléchissant sur les concepts de « bonne école » et « bon enseignement », le second sur l’organisation semestriel à proprement parler. Un sondage aux résultats très positifs auprès des enseignants a permis la constitution d’un groupe de travail. Organisé dès septembre 2013, il avait pour mission de réfléchir sur les avantages d’un tel système et son implémentation dans les meilleures conditions. Les résultats de ce travail ont ensuite été validés par le Comité des Parents.

Pour le SLL, la procédure suivie était quasi-identique, à savoir la mise en place d’un groupe de travail ayant pour mission de s’interroger sur une optimisation de l’organisation scolaire, afin de répondre au mieux aux besoins des élèves-sportifs. Celui-ci était constitué de la cellule de développement scolaire (CDS) et du « Trainerstaminet » [2]. Après un travail important d’échanges avec les différents partenaires, qu’ils soient ministériels, éducatifs ou sportifs, le groupe a apporté une solution en termes de réorganisation scolaire. Cette dernière a ensuite été approuvée par les enseignants et le comité de coordination de l’établissement.

Les objectifs

Modifier le rythme scolaire demande la fixation d’objectifs propres à l’établissement, car cela va entraîner un certain nombre d’actions liées à des procédures qui ne pourront être adoptées par la communauté scolaire que si elles sont cohérentes avec la philosophie et les valeurs prônées par l’établissement

Trimestre ou semestre, l'objectif premier reste identique pour tous les établissements: le réussite des élèves et le bien-être de tous.

Même si l’objectif premier des établissements est le même, à savoir la réussite des élèves et le bien-être de tous (élèves, enseignants, etc.), la volonté de changer de rythme scolaire en passant d’un système trimestriel à un système semestriel, trouvant ses origines dans une autoévaluation, les objectifs inhérents sont donc différents.  

Pour l’ALR, les objectifs principaux et sous-objectifs étaient  

  • L’harmonisation avec l’organisation scolaire de la formation professionnelle initiale ;
  • Un rythme scolaire moins intense permettant une diminution du stress des élèves ;
  • La réorganisation du système scolaire pour favoriser l’apprentissage actif et durable et la valorisation de l’évaluation formative ;
  • Une communication accrue avec les parents.

Pour le SLL, il s’agissait de permettre aux sportifs et à l’équipe éducative une plus grande flexibilité en  

  • Adaptant la charge totale (sport, études, transport, …) ;
  • Réduisant les collisions entre les pics scolaires et sportifs ;
  • Encadrant les élèves-sportifs en déplacement.

Procédures et outils créés

La nécessaire réflexion sur la mise en œuvre des semestres d’un point de vue pédagogique entraîne un certain nombre de modifications dans les procédures, les échanges ou le quotidien des élèves. Elles sont accompagnées et soutenues par de nouveaux outils.  

Le changement le plus marquant concerne la modification du calendrier scolaireLes journées dites « perdues » précédant les vacances de Noël et de Pâques sont supprimées et une semaine supplémentaire est accordée aux élèves à Carnaval, pour les enseignants il s’agit d’une semaine consacrée aux travaux administratifs (conseils de classe, etc.). Le temps scolaire est ainsi optimisé du point de vue pédagogique.  

La charge scolaire a également été répartie différemment sur l’année scolaire afin notamment de favoriser l’apprentissage par compétences et la régularité dans le travail. Cette modification a entraîné une nécessaire adaptation des cours à ce nouveau format mais aussi des évaluations sommatives (planification, attribution d’un volume de points par branchenombre de devoirs minimal fixé) et des temps de préparation accordé aux élèves. Les enseignants ont dû réfléchir et adapter le programme par branche pensé pour les trimestres, mais aussi se concerter pour planifier les tests et notamment prendre en compte l’interdiction de faire des devoirs sur table la première semaine de retour des vacances de Noël pour permettre aux élèves de profiter d’un réel temps de repos. Le contrôle continu a également pris une part plus importante dans le quotidien tant des élèves que des enseignants. Enfin, une période de composition en fin d’année a été instaurée par le SLL permettant aux élèves-sportifs de passer les devoirs en classe dans chaque branche le matin et être libres ensuite afin de pouvoir combiner révisions et entraînements sportifs. 

Le bilan intermédiaire est l’un de ces documents mis en place pour permettre à la communauté scolaire d’avoir un regard sur les apprentissages des élèves à mi-parcours du premier semestre soit en décembre. Il est un excellent outil de communication entre enseignants, mais aussi avec les parents et les élèves qui ont ainsi un aperçu des / de leurs résultats. Il donne en outre la possibilité aux parents d’échanger avec le régent lors d’un entretien. Il est établi lors d’un conseil de classe intermédiaire et permet de proposer des solutions de remédiation voire de réorientation, si nécessaire. 

Les bénéfices

Quel que soit l’établissement, une attention toute particulière a été portée sur l’information et la communication auprès de la communauté scolaire, qui se montre globalement satisfaite. Mais au-delà de l’explication du nouveau rythme scolaire, ce dernier a permis de multiplier les échanges entre les membres de la communauté scolaire. Parents et élèves parlent ainsi d’une plus grande disponibilité et écoute des enseignants, notamment dans l’explication et la compréhension des compétences scolaires (forces et faiblesses) ou au sein des cours. Les enseignants, entre eux, se concentrent sur les projets interdisciplinaires.

Le système semestriel permet de supprimer, pour les élèves, les pics de stress liés aux périodes de contrôle. Bien sûr, le stress n’a pas disparu, il s’est modifié, vers une pression plus constante et stable, mais de plus faible intensitéIl est évident que pour un certain nombre d’élèves, l’obligation de travailler de façon continue n’est pas un atout des semestres. Mais l’apprentissage continu est synonyme d’apprentissage durable et correspond de fait à un bénéfice des semestres.  

La répartition fixe des devoirs combinée avec la fixation du nombre minimal de devoirs en classe et les tests à faibles points sont également en faveur de cet apprentissage durable et de l’acquisition de compétences transversales telles que le développement de l’organisation personnelle, la méthodologie ou l’autonomie (dans le travail).  

Pour le Sportlycée, si certaines collisions entre pics sportifs et scolaires perdurent, en majorité celles-ci se sont réduites, notamment grâce à la période de composition de fin d’année qui fait l’unanimité.  

Enfin, l’expertise enseignante y a gagné en termes d’évaluation formative et/ou par compétences permettant un regard plus complet sur les élèves. Les cours se sont développés différemment, les enseignants ayant dû repenser le programme scolaire et leur branche pour l’adapter au système semestriel. La flexibilité octroyée par les semestres est considérée comme un point fort de ce rythme scolaire.  

Les difficultés

La principale difficulté rencontrée lors de la mise en place de l’organisation semestrielle reste l’angoisse générée par l’absence d’une troisième chance (lors d’un échec aux précédents trimestres) surtout pour les parents. Cette absence de troisième chance augmente, selon les élèves, la pression ressentie concernant leur réussite. Mais après plusieurs années d’existence, cette difficulté est balayée grâce au bilan intermédiaire qui peut être généré sur demande à tout moment de l’année scolaire.  

L’organisation par trimestre a eu comme conséquence l’absence de cours à partir du mercredi avant les vacances de Noël et Pâques et a posteriori une mise en place d’activités durant ces périodes. La conséquence est l’impossibilité pour les jeunes de pouvoir suivre des stages durant cette période souvent choisi par les associations sportives, notamment.

Il faut accompagner le changement en profondeur.

Conclusion

Pouvoir chiffrer l’impact des semestres seraient un atout indéniable, cependant, compte-tenu du nombre de variables parasites, il est quasiment impossible de comparer les résultats des élèves en se basant sur ces deux variables. Les recherches sont toutefois unanimes pour mettre en avant l’importance de la préparation concernant le passage d’une organisation du temps scolaire à une autre. Que ce soit au niveau collectif (l’établissement via la direction) ou au niveau individuel (enseignant), une procédure de modification doit être soutenue par une réflexion en amont et la mise en place de mesures spécifiques. Les deux établissements que nous avons cités l’ont parfaitement démontré et le résultat après plusieurs années se traduit par une complète acceptation par la communauté scolaire, mieux par un refus de revenir à l’organisation trimestrielleIl est donc impératif d’accompagner ce changement en profondeur.

Enfin, la réflexion menée pour un changement de rythme scolaire est intéressante car elle montre qu’il est important de ne pas se glisser dans un modèle tout fait sans réfléchir aux implications et impacts générés. Interroger les trimestres de la même façon pourrait être source de bénéfices pour les établissements scolaires et d’expertise pour les enseignants.


[1] M. Bissen : Auf der Suche nach der „guten Schule“ Schulentwicklung und Qualitätssicherung – zum Aufbau einer weiterführenden Schule im Kanton Redange
http://manuel-bissen.de/mediapool/43/438359/data/Auf_der_Suche_nach_der_guten_Schule.pdf.
Esser : Repenser les rythmes scolaires – Les semestres une alternative aux trimestres
https://portal.education.lu/inno/PROJETS/Projets-D%C3%A9tail/ArtMID/3328/ArticleID/560640/Repenser-les-rythmes-scolaires-Les-semestres-une-alternative-aux-trimestres
[2] Il s’agit d’une plateforme regroupant tous les entraîneurs fédéraux qui se réunit trimestriellement.