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Utilisation excessive d’Internet par les jeunes Européens : vulnérabilité psychologique et littératie numérique ?

Thème

Le présent article représente un travail de recherche interdisciplinaire, combinant les méthodologies de la psychologie clinique et de la littératie numérique afin de décrire les facteurs clés de l’utilisation excessive d’Internet par des enfants âgés de 11 à 16 ans. Au cours des dernières décennies, l’utilisation d’internet a augmenté de façon exponentielle en termes de nombre de moyens utilisés pour accéder aux services internet chez les jeunes. Selon l’étude actuelle, il existe deux points de vue différents sur l’utilisation excessive d’Internet. D’un point de vue psychologique, elle est associée à la dépendance. Du point de vue de la littératie numérique, l’utilisation intensive d’Internet, avec d’autres savoir-faire, est considérée comme une compétence numérique. L’objectif de la présente étude est de combiner deux perspectives en un seul cadre théorique en examinant les facteurs sociodémographiques et psychologiques avec de la littératie numérique dans le contexte de l’utilisation excessive d’Internet chez les enfants. L’objectif de l’étude est de découvrir pourquoi certains enfants subissent des conséquences négatives de leur engagement intense lors de l’utilisation d’internet alors que d’autres en bénéficient.

Une perspective psychologique sur l’utilisation excessive d’Internet.
Selon les études de psychologie clinique, l’utilisation excessive d’Internet est associée à l’utilisation pathologique d’Internet et donc classée comme une cyberdépendance. En tant que telle, elle peut être détectée au moyen d’indicateurs, définis à l’origine pour d’autres types de troubles de la dépendance. Les chercheurs ont identifié six signes suivants de l’utilisation excessive d’Internet : silence ; changement d’humeur ; symptômes de retrait, lorsque la personne ressent des sentiments négatifs si elle est incapable de pratiquer l’activité ; conflit, lorsque la personne a des différends avec son entourage social le plus proche ; épuisement et réintégration, lorsque la personne revient à l’activité nuisible après une période d’autocontrôle ; tolérance, lorsque la personne a besoin d’une activité de plus en plus intense pour retrouver la sensation initiale. Par conséquent, en se basant sur ces caractéristiques psychologiques et les vulnérabilités de l’individu, le paradigme de la psychologie clinique considère les résultats de l’utilisation intensive d’Internet comme une conséquence négative.

Une perspective de littératie numérique sur l’utilisation excessive d’Internet.
La littératie numérique est définie comme une faculté permettant de traiter et de communiquer l’information au moyen de différents médias et technologies numériques, ce qui exige à la fois des compétences cognitives et des savoir-faire techniques. Elle inclut également un usage intensif de l’internet. En conséquence, les études sur la littératie numérique considèrent l’utilisation intensive de l’internet comme un sous-composant des compétences numériques et la considèrent donc comme un facteur positif. D’autre part, les études sur l’inclusion numérique considèrent la vulnérabilité différemment. Les personnes issues d’un milieu socio-économique défavorisé ont généralement moins de compétences et moins de possibilités d’utiliser les technologies et les différents services en ligne.

L'étude

Afin d’explorer la relation entre la littératie numérique et les vulnérabilités psychologiques, les chercheurs ont défini deux hypothèses. (1) Les auteurs supposent qu’il existe un lien entre les différents niveaux de littératie numérique des enfants et le degré de leurs troubles psychologiques. Les enfants ayant des niveaux plus élevés de littératie numérique et moins de problèmes psychologiques sont moins exposés aux conséquences négatives d’une utilisation intensive d’Internet. (2) Dans leur deuxième hypothèse, les chercheurs supposent que les enfants ayant des troubles psychologiques ont tendance à utiliser davantage l’internet pour échapper aux problèmes de la vie réelle. Par conséquent, cela contribue à amplifier l’impact de l’insécurité psychologique sur les résultats négatifs de l’utilisation intensive d’Internet.

Afin de vérifier les hypothèses, les chercheurs ont utilisé les données provenant de l’étude “EU Kids Online” de 2010, qui comprenait les informations d’un échantillon de 18 709 enfants âgés de 11 à 16 ans. Les données consistaient des entretiens avec des enfants et leurs parents. Les chercheurs ont analysé les catégories de questions suivantes : Recherche de sensations, Problèmes émotionnels, Efficacité personnelle, Compétences en ligne, Confiance en soi lors de l’utilisation d’Internet, Temps passé en ligne, et Étendue de l’engagement (le nombre d’activités que les jeunes entreprennent en ligne).

Résultats

Au regard des hypothèses mentionnées, les résultats démontrent de manière inattendue que les enfants ayant un niveau élevé de littératie numérique et des problèmes psychologiques courent un risque élevé de subir les conséquences négatives d’une utilisation intensive d’Internet. Cette constatation est très importante, car elle suggère que si un enfant ayant des problèmes émotionnels élevés améliore ses compétences numériques par le biais d’une formation, cela pourrait exposer cet enfant à un risque élevé, car ces enfants ont tendance à passer plus de temps en ligne. Les chercheurs estiment donc qu’il est essentiel de traiter en premier lieu les problèmes émotionnels des enfants afin d’éviter que des compétences numériques élevées entraînent des effets négatifs. Les chercheurs suggèrent que l’une des solutions potentielles pourrait être le soutien des parents, qui aiderait les enfants à mieux évaluer les risques en ligne.

En revanche, les enfants présentant de faibles niveaux de troubles émotionnels ou un niveau élevé d’auto-efficacité et de littératie numérique étaient moins exposés à des effets négatifs. Les chercheurs concluent que si la littératie numérique est prise séparément, les enfants ayant un niveau élevé de littératie sont généralement en mesure d’éviter les conséquences négatives d’une utilisation intensive d’Internet. Toutefois, lorsque les compétences numériques sont considérées conjointement avec les indicateurs de troubles psychologiques, les niveaux élevés de littératie sont associés à des effets plus négatifs.

Les résultats ont également confirmé la deuxième hypothèse des chercheurs. Les enfants qui manifestent des troubles émotionnels sont souvent moins doués pour le numérique et passent plus de temps en ligne, ce qui les expose à un risque plus élevé de conséquences négatives. En outre, les enfants qui cherchent des sensations fortes ont tendance à être plus exposés à une utilisation excessive d’Internet. Cela s’explique par le fait que les enfants ayant des compétences numériques élevées sont en mesure de mieux satisfaire leurs besoins de recherche de sensations en ligne, et sont donc plus à risque. D’un autre côté, les enfants ayant de faibles compétences numériques sont incapables de satisfaire de la même manière leurs besoins de sensations en ligne et, par conséquent, entreprennent plutôt des activités à risque dans le monde réel.

En conclusion, les auteurs soulignent que des recherches futures sont nécessaires afin de mieux comprendre quels types de littératie numérique peuvent amplifier des formes spécifiques de vulnérabilité psychologique. En outre, une discussion scientifique est nécessaire pour définir les limites et les niveaux optimaux d’utilisation de l’internet et les niveaux de risques acceptables.

Excessive internet use by young Europeans: psychological vulnerability and digital literacy?
Ellen Johanna Helsper, David Smahel
Information, Communication & Society 23.9 (2020): 1255-273. Web.
Texte intégral (avec carte BNL)